- Le typosquatting non retenu en appel
- Une drôle de notion de la concurrence déloyale
- Une décision dangereuse pour tout un secteur
- Le Black Hat SEO illégal
La cour d'appel de Douai a condamné le site saveur-biere.com pour concurrence déloyale en raison de son usage de sites satellites dans sa stratégie SEO.
Je sais qu'il est malaisé de critiquer une décision de justice, mais elle me parait plutôt étrange, difficilement compréhensible et surtout totalement inadaptée.
C'est d'autant plus gênant qu'elle risque de faire jurisprudence et que je ne vois pas en quoi la notion de concurrence déloyale est qualifiée.
Voici un article du JDN qui résume très bien la situation, je ne vais pas revenir sur le détail des faits.
Voici également le jugement dans son intégralité pour que vous puissiez en faire votre propre analyse.
Le typosquatting non retenu en appel
A juste titre, le typosquatting n'a pas été retenu en appel, sage décision. Les termes utilisés dans le nom de domaine incriminé, selection-biere.com, sont des termes génériques.
Jusque là tout va bien et le jugement de première instance ne tenait pas.
Problème : selection-biere est une marque qui appartient à Kronenbourg et ça aurait pu évoluer vers une contrefaçon de marque en cas de plainte de l'intéressée.
Une drôle de notion de la concurrence déloyale
En France (et de nombreux pays), la concurrence déloyale est interdite, chose logique et souhaitable.
En revanche, je ne vois pas en quoi l'usage de sites satellites peut être qualifié de la sorte. Rien n'empêchait les plaignants de faire la même chose, dans la mesure ou ces sites n'étaient pas utilisés à des fins de negative SEO.
A priori, d'après ce que je sais du dossier, ce n'était pas le cas et ça me donne envie de boire une bière de Noël.
L'arrêt de la cour d'appel précise :
Attendu ainsi que l’ensemble de ces techniques sont destinées à tromper les moteurs de recherche sur la qualité d’une page [...]
Cela revient à affirmer au nom de la loi que l’algorithme de google est juste. Si un site se trouve en première position sur une requête, ce serait donc parce qu'il est de meilleure qualité que les autres (c'est un fait selon le jugement et non une hypothèse).
Egalement :
[...] que ces sites n’offrent aucun service, sinon de proposer une suite de liens renvoyant sur le site principal de la société Saveur bière [...]
Ce qui revient à dire que tout site internet qui propose de renvoyer des liens vers d'autres sites, sans autre "service" peut être jugé illégal (blog, annuaires...).
Puis enfin :
En multipliant la réservation de noms de domaine comportant à de nombreuses reprises le terme bière favorisant la création de liens orientant vers leur nom de domaine, le plaçant de ce fait en tête des moteurs de recherche, Julien L. et la sarl Saveur Biere ont commis des actes de concurrence déloyale en privant le site appartenant à Céline S., qui exerce dans le même secteur d’activité, d’être normalement visité [...]
Sur ces motifs, je ne suis pas d'accord non plus. Dans ce cas, le simple fait de créer artificiellement des liens (netlinking) via des annuaires, des communiqués de presse ou par tous autres moyens « non naturels » constitue potentiellement un acte de concurrence déloyale.
C'est tout le web qui est concerné et cela pourrait avoir des conséquences catastrophiques pour la majorité des sites.
Tous les professionnels du référencement naturel et du web en général devraient s'émouvoir. A mon avis, cet arrêt est largement sous estimé et l'on sent bien derrière un manque de connaissance flagrant du sujet.
Cette décision revient à élever les guidelines des moteurs de recherche au rang de loi et ça ne sera pas sans conséquences.
J'ignore si Julien, le propriétaire du site condamné a envisagé de se pourvoir en cassation, mais ce jugement en l'état m'inquiète et me dérange profondément. D'ailleurs, s'il décide de se pourvoir et qu'un collectif se monte pour l'aider à financer sa défense, je participerai car nous sommes tous concernés.
Une stratégie qui consisterait à acheter en masse des espaces publicitaires dans des revues spécialisées serait-elle assimilée à de la concurrence déloyale sous prétexte que les autres ne sont plus assez visibles ?
Pourquoi cette décision est dangereuse pour tout un secteur économique ?
L'analyse de l'avocat Alexandre Diehl (Cabinet Lawint) citée dans l'article du JDN va dans le sens de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Douai.
Sauf qu'il s'agit d'une analyse purement juridique qui d'après moi ne prend pas suffisamment en compte les usages du secteur et la dimension technique incontournable du web. Où se situe la limite ?
Il précise que l'arrêt va dans le sens des « professionnels du référencement qui considèrent que ce type de comportement consiste en du spamdexing ».
Je n'ai pas lu assez d'articles sur le sujet pour savoir comment les autres ont pris position, mais ça m'étonnerait.
Si la loi interdit soudain de faire des sites qui n'offrent "aucun service" et/ou de "mauvaise qualité", on en déduit que seuls les sites de "bonne qualité" qui offrent un "vrai service" ont droit de citer sur le web ?
En appliquant strictement ce jugement, il deviendrait possible de condamner 90% des sites ! La qualité d'un site ou le service qu'il rend est quelque chose de totalement subjectif et aucune loi ne peut définir de critères précis.
Et heureusement, car il deviendrait illégal de créer des sites inutiles ou de mauvaise qualité ? va-t-on interdire demain aux artistes de créer des oeuvres jugées de mauvaise qualité qui occuperaient le marché au détriment des bons artistes ?
Tout cela me rappelle vaguement l'histoire du bon et du mauvais chasseur [vidéo]. Je crains qu'une fois de plus, nous ne marchions sur la tête.
Rendez vous compte que désormais toute action de netlinkng peut potentiellement tomber sous le coup de la loi. Un site qui dispose de plusieurs milliers de backlinks peut-il se voir reprocher d'avoir obtenu trop de liens et d'empêcher ses concurrents d'exister ?
Peut être qu'il serait plus judicieux de se pencher sur les abus de position dominante de Google, vous ne pensez pas ?
Le Black Hat SEO illégal
Et le White Hat aussi !
Ce jugement rend illégal toute action de référencement, car par nature, ces actions sont destinées à tromper l’algorithme de pertinence des moteurs de recherche.
Désormais, plutôt que de faire parler son talent ou de faire appel aux services d'un référenceur pour être visible, il suffira d'aller voir le juge du SEO et de porter plainte contre celui qui occupe les premières positions.
Une nouvelle fois la France fait le choix du nivellement par le bas et c'est regrettable.
Une telle décision de justice ne peut aboutir qu'à une insécurité juridique supplémentaire pour les entreprises car personne ne peut définir ce qu'est un site de qualité ou un site qui propose un service.
Quel service ? une information ? la vente de produits en ligne ? des conseils ?
Nul ne peut définir où se situe la limite de la concurrence déloyale et les procès risquent de ce multiplier. C'est visiblement l'ignorance qui a conduit à un tel verdict et il faudra bientôt un avocat en droit des sociétés pour gérer son référencement.
Le juge n'aurait jamais dû retenir la concurrence déloyale en l'absence de negative SEO démontré. Il aurait dû simplement demander le retrait des mentions discriminatoires entre les produits de l'un et de l'autre, mais en aucun cas condamner pour les faits qui sont reprochés en appel.
Et vous, que pensez vous de cette décision de justice ?
N'oubliez pas que nous ne vivons pas dans le monde des bisounours avant de commenter l'article.